Marchands de sommeil : diagnostic de la misère
Inacceptable mais vrai. Aujourd'hui en France, les sans-logis font la manche et les mal-logés payent des fortunes tous les mois. Pour des chambres d'hôtel qui dérogent aux règles élémentaires de décence imposées par la loi.
En plein Paris, au cœur du xviie, Carole, 21 ans, vit avec sa fille de deux ans et son mari, dans une chambre de 8 m2, sans eau chaude. Douche dans la cour, trois étages plus bas et un escalier en colimaçon dont la rampe menace de céder. « Je couvre entièrement ma fille quand elle dort, mais je la trouve le matin couverte de cafards ». Dans l'immeuble une odeur âcre d'humidité, de cuisine et de poubelles et dans la pièce, une chaleur insoutenable malgré un chauffage défaillant. Légalement, on appelle ça un « habitat indigne ». Tarif : 900 euros par mois, au nombre de personnes et non au mètre carré. Seul, c'est 650 euros de « loyer ». Aucun bail signé… Les occupants ignorent leurs droits. Et ils en ont.
Droit de signer un contrat locatif d'un an avec les protections afférentes. Mais avant tout, d'engager la responsabilité de l'Etat pour obtenir un logement décent. Rapport à la récente loi sur le « Droit au Logement Opposable ». Pourtant, les hôtels au mois sont surchargés de demandes. Une recherche interminable et un soupir de soulagement pour celui qui trouve une chambre, c'est toujours mieux que la rue. Les occupants restent là des années. Deux ans pour Carole, placée par l'assistante sociale de la mairie. « Vous êtes bien installés », dixit l'assistante après un passage. Le hic ? Insuffisance de logements sociaux, flambée des prix de l'immobilier. Georges Sarre, maire sortant du xie arrondissement de Paris, n'avait de cesse de réclamer un arrêté de blocage des loyers dans la capitale. Il explique : « à Paris, il y a 165 000 logements sociaux, mais 105 000 demandes en attente. Et quasiment plus d'espace. Malgré les discours gouvernementaux, c'est chaque année moins de 40 000 logements sociaux qui émergent au niveau national. Il ne pourra y avoir de politique à grande ampleur que si l'Etat fait preuve de volontarisme pour construire les logements qui manquent ! »
Bilan : 50 000 personnes en France vivent à l'hôtel.
Au mois, c'est 695 hôtels à Paris. Certains sont des « marchands de sommeil ». Etat des lieux désastreux, menaces et restrictions pèsent sur les occupants. Saisir préfecture ou mairie pour effectuer les contrôles ? Abdel, 54 ans : « si l'hôtel ferme, je me retrouve à la rue ». Là encore, gros décalage. C'est ignorer des lois qui abondent, « Engagement National pour le Logement » et autres. Interdiction aux patrons de louer des chambres insalubres, dangereuses, surpeuplées, d'exercer pressions ou menaces. Les normes sont strictes, les sanctions sévères. En cas d'arrêté de police, le propriétaire doit engager des travaux et suspendre les loyers. Si fermeture temporaire, il « est tenu d'assurer aux occupants un hébergement décent correspondant à leurs besoins ». Si fermeture définitive, il verse en plus trois mois de loyer à venir. A défaut, les pouvoirs publics doivent se charger du relogement. Pourtant…
Rachid, 53 ans, en hôtel à Montreuil (93), a vécu onze ans dans un établissement fermé pour insalubrité. Allocation suspendue, il n'a été ni remboursé, ni relogé. « La préfecture ne m'a pas donné d'explication ». En 2007, l'ordonnance « anti-marchands de sommeil » facilite les procédures pour que l'Etat ou la mairie puissent avancer les frais de travaux. Mais on renvoie la balle aux propriétaires. Résultat : seuls trente hôtels parisiens sont actuellement fermés. Quant au rachat public, Georges Sarre explique que « pour racheter quelque chose qui n'est pas à vendre, dans un pays qui protège la propriété privée, il faut des procédures compliquées et longues… ».
Tous les patrons ne sont pas des « marchands de sommeil ».
Georges Grégory, travailleur handicapé, vit depuis 23 ans dans un hôtel au mois du xviiie à Paris : « on a trouvé le bouc émissaire idéal. Le propriétaire fait sans cesse des travaux, mais il a de très grosses charges. » Certains, cependant, y voient juste un « commerce ». « Celui qui veut, il paie et je lui donne la clé. S'il n'est pas content, il prend la porte. L'Etat n'a qu'à lui donner un logement », estime un gérant de Montreuil. Seul soutien des mal nantis, des associations – Fondation Abbé-Pierre, Droit Au Logement… – les accompagnent au quotidien. Mais la misère isole. Et l'habitat indigne se substitue toujours à un logement social insuffisant.